Premier son en arrivant : les tourterelles.
Portière qui claque, gravier sous les pieds, portail qui grince, gravier encore, le rideau de perles de bois s’ouvre en haut de l’escalier de pierre, écarté par Mamie qui apparaît.
Si c’est l’été (c’est souvent l’été), la table est mise dehors, mais on monte l’escalier pour faire une bise. La corde le long du mur est râpeuse, quand on est gosse on fait semblant d’être un alpiniste, quand on est plus gosse on fait quand même un peu semblant d’être un alpiniste. En haut le sol du balcon est un peu poussiéreux, sur le rebord de la fenêtre il y a deux machines à faire des bulles et trois ou quatre tomates du jardin qui finissent de mûrir. Mamie dit que le soleil ça leur donne bon goût. Elle a raison. On connaît la pierre du balcon par cœur.
Dedans, le sol pas droit, les murs pas droits, le plafond tordu. Il fait frais dans la salle à manger, le sol en lino fait un bruit de plastique et la pendule fait un bruit de pendule. Si on pose une bille sur la table elle roule et tombe par terre. Papi à déjà sorti des verres et une bouteille de vin blanc, ou du jus d’ananas si on est encore gosse, mais on aura quand même le droit de tremper les lèvres. “Tu diras pas à ta mère”, comme si elle était pas au courant.
Cavalcade pour monter les escaliers qui mènent au grenier et à la chambre, la pièce sent la poussière et le bois, la nuit on laissera la fenêtre ouverte pour dormir. On entendra les géraniums qui frémissent dans l’air de la nuit, le matin c’est la cloche de l’église qui nous réveillera. Jamais nulle part je n’ai aussi bien dormi.
Cavalcade pour redescendre après avoir posé le sac, “on ne court pas dans les escaliers”, on se jette dehors dans le soleil en jetant de côté le rideau de perles, “attention c’est fragile”, il en manque déjà au moins quatre ou cinq fils.
Si on est gosse on joue aux quilles au ping-pong au trampoline au vélo à la course à l’escalade à cache-cache à la brouette à la pétanque au loup et à mille autres choses. Si on est pas gosse on joue seulement aux cartes, à la pétanque ou au ping-pong et on prend l’apéro en laissant jouer les gosses.
On se blesse en tombant de vélo, on se blesse en tombant du trampoline, on se blesse en tombant de la brouette, on se blesse à l’établi. Griffure brûlure égratignure cognure : blessures de guerre. Quand on rentre on est essoufflé, les cheveux collent au front, on boit au robinet de la cave à côté du tas de charbon, et on repart en courant et à grands cris.
Pour déjeuner il y a toujours de la salade de tomates du jardin, avec beaucoup de vinaigre et du basilic, et souvent un rôti de porc. Le fromage de chèvre est tellement sec qu’il couine sous les dents, il n’y a que là qu’on en trouve du comme ça. Pour le dessert on sort une conserve de cerises qu’on sert dans les verres à eau. En y réfléchissant, quelle tradition étrange. Après manger on fait la vaisselle dans l’énorme évier de la cuisine, un qui lave deux qui essuient, on raccroche les casseroles aux clous sur le dos de l’armoire. L’eau est chaude même à travers les gants mappa.
Si on est pas gosse, on fait une sieste digestive ou on joue aux cartes en disant tous les gros mots qu’on a pas le droit de répéter si on est gosse. Si on est gosse, on parie sur quel daron va gagner (le mien) ou sur qui court le plus vite jusqu’au jardin (c’est Pierre).
On va à la rivière, “attention en traversant la route”, on trempe les pieds dans l’eau, on glisse sur les pierres mousseuses, on observe les araignées d’eau et on essaie sans grand succès de les attraper. Sous certaines pierres on trouve des bestioles. Un jour Margot tombe dans l’eau, en rentrant à la maison ses bottes font floc-floc, Lucas et Charles tentent tant bien que mal de cacher la bêtise mais se font choper.
On va au jardin, on mange des groseilles des framboises des fraises des cerises des pêches des prunes des figues de l’oseille des cassis. On laisse là les poireaux et les courgettes aux énormes fleurs jaunes.
On va au pré, le dernier arrivé est une poule mouillée, tout en haut il y a un abricotier. Ça grimpe sec alors Mamie nous rejoint tranquillement. On redescend en courant et en hurlant, les bras et les cheveux au vent. Après un ou deux allers et retours en général ça fait des gosses qui le soir venu dorment bien.
On monte à la table d’orientation, si on est gosse on court, si on est pas gosse on court moins parce que ça grimpe sec ici aussi. Papi nous fait croire qu’il y a une buvette, il n’y en a pas, on l’a tous cru au moins une fois. On hurle depuis le haut de la montagne, plus tard on demandera à Mamie si elle nous a entendus, bien sûr qu’elle nous a entendus. On a beuglé comme des ânes, tout le monde nous a entendus.
On redescend par le même chemin, quelquefois on prend une averse et on arrive à la maison en courant, fourbus, trempés, ravis.
Avant de repartir on laisse une floppée de post its dans toute la maison, “on vous aime” écrit au crayon à papier, on en laisse absolument partout jusque dans le frigo.
C’est étrange mais dans ma tête je sais exactement où je mettrais la buvette.